Psychopompe

 

Comme la plupart du temps dans le travail de Jean-François Courtilat, cette exposition se veut une réflexion sur des questions récurrentes en art : la mort, l'humour, le corps. Il propose un esthétisme parfois racoleur mais qui sous-tend un malaise.

Dans les vidéos de Jean-François Courtilat, les mutations ont parfois une violence suggérée comme dans la vidéo "Camion" ou bien plus insidieuse comme dans la vidéo "Cadenas".
"Camion" montre un bouquet de fleurs synthétiques déposé par des proches d'accidentés de la route. On peut voir en arrière plan des conducteurs dans leur véhicule qui regardent bien souvent le bouquet et à leur insu en direction de la caméra. Puis intervient un accident virtuel, monté d'une façon chaotique à l'instar de la bande sonore de la vidéo : interprétation stridente par la "chanteuse" Foster Jenkins de l'air de la Reine de la Nuit extrait de la Flûte Enchantée de Mozart. Tous ces éléments situent cette vidéo à l'intérieur d'un territoire tragi-comique et également grotesque. Equilibre précaire entre séquence burlesque et film documentaire sur la sécurité routière, violence cachée mais bien présente.
La vidéo "cadenas" évoque l'absence : l'objet qui était attaché est parti. On peut penser à un vol ou à une disparition magique, mais il en reste un signe : ce cadenas fermé, ne retenant plus rien, sans raison d'être. C'est une quête absurde dans une mise en scène onirique, rouge comme le sang criminel. Enquête, questionnement sur une métamorphose : qu'est-il arrivé à l'objet, comment a t'il pu disparaître et qu'en même temps le cadenas reste intact?

Si les deux vidéos de Jean-François Courtilat proposent un univers violent mais toujours adouci par un élément extérieur (divin?) qui amène une distance autant absurde que déstabilisante, la grande série de dessins propose des sujets plus cruels, nous confrontant à des corps qui s'ouvrent, déglutissent, irradient. Ces dessins aux formats divers sont réalisés par ordinateur, les images récupérées sur Internet ou prises dans l'iconographie de la publicité ont été modulées, amputées, retravaillées afin d'y amener une réflexion sur les rapports humains, les blessures du corps ou de l'esprit, les mensonges. Jean-François Courtilat y ajoute des prothèses, inventées ou réelles, des sécrétions extravagantes…
Ces dessins ont des histoires polymorphes, aux sens multiples. Si les couleurs se veulent rassurantes, les signes sont troubles. Car là encore l'effet de rajout est grossier, flagrant, c'est le fait d'une main manipulatrice qui s'amuse de ces expériences physiques cruelles, de ces confrontations proposées aux développements ambigus.

On retrouve cette idée de confrontation dans les installations d'objets : deux vélos de taille adulte mais à l'aspect étrangement enfantin se font face pour formaliser une rencontre, un dialogue éventuel, deux coqs se regardent prêts pour un hypothétique combat. Au delà de l'idée de confrontation, Jean-François Courtilat nous ramène encore à l'idée de transformation puisque tous ces objets sont constitués de sac en plastique thermo formés provenant de magasins d'une grande marque de distribution : le contenant devient le contenu. L'artiste répond ainsi de façon ironique à l'invitation de recyclage inscrite à même le support. A travers la matière plastique, les indications, logos et autres inscriptions nous renvoient au monde de la Consommation. Et cette installation, sans être une critique acerbe n'en reste pas moins un questionnement sur notre société (économie de marché, concurrence, publicité).

Seuls deux lutins, sournois, malins, de plastique eux aussi, regardent la scène. Témoins de l'exposition, spectateurs des vidéos, se réjouissent-ils de ce qui va advenir ou de ce qui s'est déjà passé? Car pour créer des tensions, Jean-François Courtilat joue avec le temps, saisissant des situations latentes. Il propose toujours un avant ou un après dont les finalités sont univoques et questionnent les processus irréversibles, qu'ils soient infimes ou catastrophiques.

Sensible à la réception des scénarii qu'il construit, le plasticien invite David Rolland, chorégraphe, à investir l'exposition le temps du vernissage. En proposant une performance qui privilégie les images et les situations, David Rolland crée des outils critiques qui s'intègrent au processus de création lui-même, en lien avec le titre de l'exposition "psychopompe" (qui conduit les âmes des morts). Ainsi, le chorégraphe anticipe le déplacement mental du spectateur : il expérimente, souligne, accentue, accompagne, transforme, bouleverse, questionne. Il propose des actions physiques que chaque spectateur est à même de réaliser mentalement et à défaut de conduire les âmes, il accompagne la pensée critique.